PREMIERS RESULTATS DE L'ETUDE PALEOANTHROPOLOGIQUE ET PALEOPATHOLOGIQUE DE LA NECROPOLE HISTORIQUE DE NOTRE-DAME-DU-BOURG (DIGNE : IV°-XVII° SIECLES)

La cathédrale de Notre-Dame-du-Bourg fait l’objet d’une étude multidisciplinaire paléoanthropologique et paléopathologique sous ma direction. Il importe donc de préciser les données archéologiques et le contexte paléoanthropologique de cette nécropole qui a fourni plus de 1400 squelettes, inhumés entre le 5° et le 17° siècle dont l’étude est en cours au Laboratoire d’Anthropologie de la Faculté de Médecine Nord de Marseille, U.M.R. 6569.

            Il est nécessaire qu'une étude paléodontologique moderne et exhaustive soit effectué sur cette très importante population. Les travaux  présentés ci-après ont été réalisés dans ce cadre et publiés ou sous presse. 

INHUMATIONS ET PRATIQUES FUNERAIRES

En fonction des travaux de restauration de la cathédrale Notre-Dame du Bourg, des  fouilles archéologiques ont pu être effectuées depuis 1983 sous la direction de G. Démians d'Archimbaud (Laboratoire d’Archéologie Médiévale, Aix-en-Provence). Les fouilles de l'ancienne cathédrale médiévale et de son environnement Nord et Ouest ont permis la découverte de multiples structures antiques, médiévales et modernes, auxquelles étaient associées d'importantes séries de tombes (près de 1400 au total). Plusieurs phases apparaissent 

            Les inhumations les plus anciennes concernent les III ° et IV° siècles.   La situation change dès le Ve siècle.  Quelques tombes nouvelles sont alors introduites, parfois en position véritablement privilégiée mais déjà, la création d'une grande église, plus au sud, modifiait profondément la fonction de tout cet espace.

            La fouille montra en effet que la cathédrale médiévale succédait à une basilique importante, plusieurs fois agrandie et transformée intérieurement du V° au Xl° siècle.  Aucune tombe ne fut alors déposée à l'intérieur de l'église en activité, mais plusieurs prirent place à l'extérieur, contre ses murs ou dans son environnement immédiat, dès les Vl°-Vll° siècles et surtout à l'époque carolingienne.  

            Dès le Xl° siècle en revanche, la concentration architecturale qui se produisit au bénéfice d'une seule grande église, précédée d'une avant-nef et bientôt accompagnée d'un clocher, libérait un vaste espace vite ennoyé sous les tombes.  

            La reconstruction de la cathédrale au début du Xlll° siècle ouvrait une nouvelle période.  Elle fut marquée par l'apparition de caveaux destinés à des sépultures peut-être familiales ou, en certains cas au moins, issues de groupes sociaux ou fonctionnels précis (55 cas observés à l'intérieur comme, surtout, à l'extérieur de l'église). Un certain ordre se dessinait ainsi.  Il fut annulé partiellement, dès les XlV°-XV° siècles, par l'apparition de tombes en cercueil insérées dans des fosses profondes à l'intérieur même de la cathédrale, suivant une pratique refusée jusqu'alors.  Celle-ci s'amplifia à l'époque moderne (XVI°-XVIl° siècles) lorsque l'édifice, plus destiné aux morts qu'aux vivants, fut envahi par plus de 600 inhumations en cercueil ou en fosse sommaire - la même pratique se retrouvant à l'extérieur (une centaine de cas étudiés). L'état de semi-abandon du site, déserté au profit de la ville haute mieux protégée, explique cette évolution.

            Cette dernière eut au moins le mérite, en entraînant un exhaussement continu des sols, de favoriser la conservation des vestiges les plus anciens.  L'on dispose ainsi de multiples séquences qui permettent de suivre, sur près de quinze siècles, l'évolution de cette population bas-alpine encore mal connue mais dont l'analyse apporte beaucoup dès à présent.

  PREMIERS DONNEES PALEODEMOGRAPHIQUES

Les travaux paléodémographiques montrent le caractère représentatif de cette nécropole par comparaison à la population de la ville de Digne. Cependant, les périodes les plus anciennes sont numériquement peu importantes.

Le sex-ratio et la répartition des âges au décès sont identiques dans toutes les périodes et entre la population inhumée du 17° siècle et les registres notariés. Dans les différentes périodes d’inhumation, le sex-ratio est constant avec une discrète surmortalité féminine chez les sujets jeunes. L’étude de la répartition par âge au décès des adultes par la méthode des sutures crâniennes  montre que les sujets de plus de 60 ans sont les plus nombreux et constituent 45% des effectifs. Ces éléments, bien qu’incomplets, plaident pour des inhumations  en dehors d’évènements épidémiques massifs.

PREMIERES DONNEES PALEOANTHROPOLOGIQUES

L’étude exhaustive de l’évolution diachronique de cette population est en cours. Une étude  comparée entre les périodes, portant sur 257 crânes  et 16 caractères métriques  a montré qu’il n’existait pas d’évolution linéaire mais des variations aléatoires des dimensions crâniennes  Il n’existe , en particulier, aucune variation morphométrique chronologique évocatrice d’un apport abondant de sujets morphologiquement différents comme aurait pu le réaliser une immigration importante dans un délai bref ou le remplacement d’une population décimée par une épidémie. Il semble donc sur ces éléments qu’une stabilité anthropologique ait prévalu à Digne entre l’Antiquité tardive et le 17° ou, en tous cas,  selon les données crâniométriques.

Une analyse portant sur 18 caractères discrets crâniens et mandibulaires a montré que certains caractères à composante génétique comme la suture pétro-squameuse, l’os fontanellaire au lambda, sont observés avec des fréquences relativement élevées à toutes les périodes, ce qui plaide en faveur du maintien d’un stock génétique au cours du temps et donc de faibles apports exogènes.

 Cette population semble représentative de la population de la ville, aucune sélection par âge ou sexe n’ayant été mis en évidence. C’est également, d’après les premiers résultats paléoanthropologiques, une population stable génétiquement puisque aucune brutale variation morphométrique n’a été notée  entre le IV° et le XVII° siècle.  Ainsi, la variation en plus de 1000 ans de l’appareil dentaire d’une population peut être analysée, alors que se dessine déjà l’évolution vers un mode de vie et d’alimentation moderne.

PATHOLOGIE DENTAIRE DANS LA POPULATION INFANTILE

Les études paléopathologiques dentaires réalisées sur des populations infantiles sont rares et les protocoles utilisés varient considérablement rendant difficiles les comparaisons. Cela a été notamment le cas pour la carie et pour l’usure. Le travail du docteur Marie-Laure ASQUINAZI est donc novateur. Cet échantillon correspond à des enfants ayant au moins une dent déciduale en place sur l’arcade et dont le cadre osseux était suffisamment bien conservé pour permettre l’étude d’au moins une hémi-mandibule.

              46,8 % de la population étudiée se situe au stade 5 de son développement dentaire (denture temporaire stable) et 22,3 % au stade 0.   En rapportant le nombre total de dents cariées au nombre total de dents observées toutes périodes confondues, nous dénombrons 67 dents temporaires (15,95 %) et 28 dents permanentes (36,36 %) cariées. Il existe une augmentation significative du pourcentage des caries par périodes archéologiques.  

L’analyse des fréquences cumulées fait apparaître que les dents cariées et l’usure vestibulaire suivent une même courbe et ce quels que soient les stades  Ceci souligne une apparition contemporaine.  Toutes les dents cariées observées présentent une usure occlusale. L’indice d’usure ne dépasse cependant jamais 1,5. D’autre part la progression de l’usure semble correspondre à une diminution des caries.  En effet l’usure en réduisant les reliefs occlusaux   intervient comme un modérateur de l’atteinte carieuse.

EVOLUTION DIACHRONIQUE DE LA CARIE DENTAIRE ET DE L’USURE OCCLUSALE DES ADULTES

           Le docteur Jean-Jacques BRAU a étudié les trois principales pathologies dentaires (carie, usure occlusale, alvéolyse parodontale) dans la population de Notre-Dame du Bourg. Il a été retenu au sein de la population disponible 325 crânes adultes dont l’âge avait pu être estimé. L’état de conservation variable a permis l’étude de 3533 éléments dentaires. Ces effectifs ont été répartis en cinq périodes chronologiques, par sexe et en trois classes d’âge.    

 Le pourcentage de dents perdues ante mortem au cours des différentes périodes historiques étudiées est en constante augmentation, de 10,41 %  au IV°-VII° siècles à 19,7 % au XVI°- XVII° siècle (Khideux : p<10-7).

 L'effectif global des dents cariées est en forte progression au cours des différentes périodes historiques. Le test Khi-deux d’ensemble est significatif (p<10-5). L’analyse par couple montre une différence hautement significative, en, particulier entre la période VII°-X° s et les périodes les plus récentes (p<10-8).

 L'effectif des dents usées, tous stades et âges confondus, est variable au cours des différentes périodes d’inhumation.  Le test Khideux d’ensemble est significatif et l’étude par couple montre qu’il existe une différence significative (p<0,44) entre la période du XIV°-XV°s et la période XVI°-XVII° où diminue l’usure. Toutefois, la diminution de fréquence de l’usure pour la population moderne est due, d’une part, aux nombreuses pertes dentaires ante mortem et d’autre part probablement, à une diminution du pouvoir abrasif des aliments (apparition des farines fines).

            La répartition des stades d’usures par dents, tous âges et périodes historiques confondues met en évidence l’usure plus importante de M1 (57,29% stade A/D et 36,15% stade A/D/P) par rapport aux autres dents, usure due à l’évolution précoce de cette dent vers l’âge de 6 ans et à sa position postérieure, au centre de la sangle musculaire masticatrice

     Les comparaisons établies avec les populations témoins nous autorisent à conclure que la population de Notre-Dame-du-Bourg présente des caractéristiques pathologiques conformes aux données actuelles de la paléopathologie dentaire des populations rurales historiques mais se différencie d’une population de moniales cisterciennes à haut statut social, témoignant des conséquences sanitaires des différences socio-économiques au Moyen âge en Provence.   

OBSERVATIONS RADIOLOGIQUES DES PATHOLOGIES CORONAIRES ET PERIAPICALES  ADULTES

CHAZEL J., MAFART B. La pathologie dentaire coronaire et péri-apicale dans une population historique. Paléoanthropologie et Paléopathologie osseuse, 2001, 4, 152-171.

Les différentes structures anatomiques de l’apex radiculaire sont susceptibles de présenter des modifications structurelles radiographiquement décelables, sous l’effet de phénomènes inflammatoires d’origine bactérienne ou traumatique. Ces affections résultent de pathologies coronaires ou parodontales plutôt que d’infection d’origine systémique. Leur classification sur les populations actuelles repose sur une double observation, clinique et radiographique dans un premier temps puis éventuellement anatomo-pathologique. Le docteur Jean CHAZEL en a réalisé l'étude.

                        La morbidité des affections périapicales comme celle des affections coronaires ont fait l’objet de nombreuses études au niveau des populations historiques. Cependant pour les affections périapicales, ce n’est le plus souvent que la manifestation de leur stade ultime (fenestration de la lésion au travers de la corticale maxillaire ou mandibulaire) qui fait l’objet de recensement.

Soit un effectif total de 201 individus, ont été étudiées que les dents du secteur cuspidé sur les seules mandibules en distinguant quatre types de lésions ou d'images périapicales (IPA):

-52,3% des individus ne présentent aucune IPA;

-47,7% des individus présentent au moins une IPA, dont:

.1,9% sont des adolescents,

.26,2% sont des adultes jeunes,

.19,6% sont des adultes âgés.

 En confondant les époques, les dénombrements sont alors effectués sur des effectifs puissants et permettent à tous les niveaux d'utiliser les tests statistiques sur les séries appariées.

- granulomes-kystes: le test fait apparaître une corrélation (significative 0,0001) entre ce type d'image péri-apicale et la carie des couronnes dentaires. 

- lésions condensantes: le test fait apparaître une corrélation entre lésion condensante apicale et usure coronaire pathologique (supérieure à la valeur moyenne pour chaque type de dent),la corrélation est significative à 0,01.

- parodontite apicale aiguë: l'usure pathologique est plus fréquente que la carie (19 cas pour 11 cas) mais le résultat n'est pas significatif.

Il existe donc une corrélation significative dans cette population historique entre carie et granulomes-kystes dont l’origine est probablement, comme actuellement, une gangrène pulpaire. L'usure, très marquée dans cette population, semble être le stimulus nécessaire et suffisant au développement des lésions condensantes, alors que d’autres étiologies, en particulier bactériennes sont au premier plan de nos jours. L’association de cette usure et des caries, a déclenché un processus infectieux à l'origine des parodontites apicales aiguës dont ont dû souffrir beaucoup de ces provençaux du moyen âge. 

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