ETUDE
ANTHROPOLOGIQUE DE LA NECROPOLE DE SAINT-PIERRE DE
L'ALMANARRE (OLBIA, HYERES, VAR).
MAFART
B..
MAFART
B., CHOUC P.Y., FULPIN Y., BOUTIN JP.
AUBRY
M., MAFART B. CHERID A., PASQUALINI M. Pathologie dentaire d’une
population de moniales médiévales cisterciennes de l’Abbaye Saint-Pierre de
l’Almanarre (13°-14° s). Paléoanthropologie
et Paléopathologie osseuse,
2001, 4, 138-151. full
text
La
nécropole de Saint-Pierre de l'Almanarre est située sur la commune de Hyères
(Var), à proximité immédiate des ruines du couvent de Saint-Pierre de l'Almanarre,
occupé du XIII° au XIV° siècle. Ce site médiéval recouvre une partie de l'établissement
protohistorique grec d'Olbia. L'extension des fouilles de ce comptoir imposant
l'étude préalable du cimetière, une fouille programmée a été réalisée
sous la direction conjointe de M. Pasqualini (D.R.A.C., Aix-en-Provence) et
nous-mêmes de 1989 à 1991 et sous notre seule direction de 1992 à 1993.
La
présence effective sur le terrain d'un anthropologue et paléopathologiste au côté
de l'archéologue a permis un recueil optimal des données et du matériel
osseux.
Ce
cimetière a plusieurs caractéristiques qui en font l'originalité et l'intérêt
:
-
ensemble clos,
-
absence de destructions postérieures,
-
chronologie, encore incertaine mais probablement limitée à deux siècles
d'occupation,
-matériel
assez bien conservé avec près de 400 individus ce qui en fait numériquement
le plus important site provençal médiéval religieux.
Premières
constatations archeO-anthropologiques
Trois
ensembles archéologiques et anthropologiques relativement bien séparés sont
apparus lors de la fouille.
Dans
des tombes de pleine terre avec parfois des clous de cercueil ou dans des
coffrages, souvent remaniés et tronqués, une trentaine de sujets de sexe
probablement féminin ont été retrouvés.
La présence d'anneau monacal chez certains sujets, la prédominance (ou
l'exclusivité) du sexe féminin dans un groupe permet d'avancer l'hypothèse
d'un choix de cette partie du site pour l'inhumation des moniales.
Au
contact du mur de base d'une des deux nefs, trois caveaux contenant jusqu'à 10
individus ont été fouillés. Des adultes des deux sexes ont été exhumés
avec une nette prédominance féminine cependant.
Plus
à distance de l'édifice religieux, des tombes coffrées ou de pleine terre
contenaient des individus des deux sexes et de tous âges.
PREMIERES ETUDES PALEOANTHROPOLOGIQUES
L'étude
anthropologique a pour but d'intégrer dans une même synthèse les données
anthropologiques, archéo-ethnologiques et paléopathologiques selon une démarche
employée pour les autres nécropoles et portera à plus de 700 le nombre de
sujets étudiés pour le moyen âge provençal.
L'importance
quantitative et qualitative du matériel exhumé ne permettait pas une étude
d'emblée exhaustive. La remarquable homogénéité du groupe de tombes situé
près de l'église, avec exclusivité de sujets féminins quand le sexe a été
déterminé à partir du bassin (35 cas) et gracilité des os post-crâniens et
caractères féminins du crâne, était cohérente avec l'hypothèse d'un
secteur réservé aux moniales. Nous avons donc étudié 35 tombes de ce secteur
correspondant à un effectif d'au moins 65 individus (caveau :5 individus féminins
sur 6, tombes individuelles:12 femmes, tombes collectives : 17) soit 45 sujets).
L'intérêt
de ce choix est de pouvoir comparer ces femmes d'origine sociale variée, sans
lien génétique entre elles, vivant dans des conditions favorisées, le monastère
étant un riche propriétaire terrien, à des femmes d'autres sites médiévaux
liées entre elles génétiquement, au mode de vie différent, probablement plus
rude, en particulier pour les nécropoles rurales.
Ainsi,
nous comparons systématiquement les données morphologiques et paléopathologiques
de ces moniales à celles retrouvées précédemment dans la série urbaine paléochrétienne
de Saint-Victor de Marseille (V°-VI° s, Mafart, 1980), la série rurale de La
Gayole (XI°-XIII° s, Var, Mafart, 1983 et 1984), et celle de Fréjus-Cathédrale
(X°-XIII° s, Var, étude personnelle effectuée, en cours de rédaction).
PARTICULARITES ANTHROPOLOGIQUES ET PALEOPATHOLOGIQUES
DE LA POPULATION DE MONIALES
Le
sillon pré-auriculaire est plus rare chez les religieuses, même par
comparaison avec des femmes nullipares actuelles. Des tendinopathies d'insertion
de muscles de l'épaule plus rares et des insertions du grand rond en dépression
plus fréquentes, les singularisent des femmes vivant en milieu rural. Ces différences
pourraient traduire de moindre stress mécanique. En revanche, il semble
anatomiquement impossible de retrouver des stigmates de postures de prières
prolongées en particulier à genou.
Les
méthodes classiques anthropologiques avec un traitement statistique multivarié
permettront, plus qu'une étude de l'origine de cette population, de comparer
les sous-groupes du site entre eux (moniales, caveau et reste des tombes) et
avec les autres séries médiévales provençales.
Les
micro-variations anatomiques (caractères non-métriques) seront utilisées pour
rechercher les éventuels liens familiaux entre les individus, en particulier
pour les caveaux (étude au niveau dentaire en cours par M. Aubry, sous notre
direction).
La
composition des tombes sera précisée, non seulement par un décompte d'un
nombre de sujets par inhumation mais par une étude spatiale et en chronologie
relative des sépultures permettant de comprendre le "fonctionnement"
du cimetière comme lieu de rituel.
Lors de la fouille, il est apparu dans la zone pouvant correspondre aux tombes de moniales une fréquente réoccupation de tombes. La préparation de la mise en terre semble s'être effectuée de façon répétitive en repoussant les os du squelette précédant latéralement, en déposant le corps au milieu avant de le recouvrir d'une partie des os du précédent occupant de la tombe. Les crânes étaient déposés au contact de la tête du défunt. Ainsi, le squelette en connexion du dernier inhumé était recouvert par ceux de ces prédécesseurs mais avec conservation d'un semblant d'ordre anatomique.
L'étude
individuelle de la pathologie permettra de préciser les diagnostics
d'affections dépistées lors de la fouille dont la présence dans une
population inhumée apporte une information soit étiologique (luxation de
hanche et hérédité), soit évolutive (survie à un âge avancé malgré une
gibbosité majeure).
Une
approche paléo-épidémiologique est le seul moyen de dépasser le stade
anecdotique pour entrevoir le contexte sanitaire de la population, lequel dépend
de facteurs génétiques et d'environnement.
Les
caractéristiques exceptionnelles de ce site incitent à la réalisation de
travaux anthropologiques plus fondamentaux:
- validation de l'étude des stigmates de stress par les lignes de Harris
des métatarsiens en comparant leur fréquence à celle des lignes observées
sur les radius et les tibias (en cours),
-
application à cette population médiévale des méthodes modernes de
quantification de l'ostéoporose par absorptiométrie radiographique (effectuée
et publié),
-
étude en cours des stries de l’émail dentaire en microscopie électronique
comme marqueur du régime alimentaire (en cours, M. Aubry).
Ainsi,
Le cimetière de Saint-Pierre de l'Almanarre représente la plus importante série
provençale pour la période XIII°-XIV° siècle. Des circonstances
exceptionnelles pour la région ont permis sa totale conservation. Une fouille
programmée, nous associant sur le terrain à un archéologue avec une méthode
spécifique, a mis à notre disposition pour l'étude anthropologique plus de
400 squelettes.
Les
premiers résultats confirment les espoirs mis dans ce site qui a lui seul fait
l'objet de plusieurs thèmes de recherche réalisés par plusieurs chercheurs.