MAFART B.(sous presse) Etudes des empreintes de pas humains et des empreintes d’animaux associées de la Sebkra El Azrag, Néolithique, République Islamique de Mauritanie , L'anthropologie (Paris)
Les
missions de recherches que nous avons organisées dans les sites mauritaniens de
l'Azrag ont permis une première étude de l'environnement géographique et du
contexte géologique de ce paléolac, situé à 30 km de la ville minière de
Zouérate, dont les sédiments ont conservé des empreintes de pas humains.
I contexte géomorphologique ET GEOLOGIQUE
La
sebkha El Azrag ("bigarrée") est une vaste cuvette peu profonde de 6
km de long sur 1,5 km de large qui s'intègre dans un vaste ensemble de dépressions
qui se succèdent selon un axe Nord Est/ Sud Ouest sur plus de 25 km, en
bordure du massif dunaire d'El Hammami. Vers le Sud Ouest, une autre dépression,
El Erguiya, constitue la deuxième de ces deux principales sebkhas. Le massif d'El
Hammami est entrecoupé de petites dépressions. C'est à quelques kilomètres
plus au Nord, dans une de ces dépressions, que furent exhumés en 1967 par le
pr. Y. Coppens une faune et un outillage acheuléen.
Les
deux sebkhas étudiées se sont probablement formées lors des derniers épisodes
humides de l'holocène. La datation reste incertaine mais cette sédimentation
lacustre correspond à la période des grands lacs. Plus directement, une
empreinte, prélevée en 1971, sans contexte stratigraphique précisé, a été
datée de 9120 P +/- 310 (Ly 483).
I
OBSERVATIONS PERSONNELLES
La
richesse évidente en empreinte de pas de la Sebkha El Azarg nous a conduit à
lui consacrer l'essentiel du temps de nos missions.
Une
fine stratigraphie horizontale sédimentaire lacustre est visible sur des buttes
témoins au centre de la cuvette. L'épaisseur totale des sédiments varie de
0,5 à 1,2 m.
1 Mode déformation des
empreintes
Les
aspects des empreintes sont très variables selon la zone du site, avec des
empreintes en moule négatif et d'autres en moulage positif.
Les
variations du niveau des eaux, liée aux variations climatiques, sont
probablement à l'origine des différents types observés. Plusieurs mécanismes
de formation peuvent être envisagés. A la base se trouve toujours l'appui du
pied de l'homme mais selon l'humidité du sol, l'empreinte était plus ou moins
profonde. L'assèchement puis le recouvrement lors d'une nouvelle inondation de
la cuvette suivis de l'érosion en a permis la conservation et la mise au jour.
Les
empreintes les plus fréquentes sont des moules négatifs. Pour les empreintes
en moulage naturel positif, il faut admettre que la couche supérieure avait
recouvert une empreinte déposée sur un support moins compact voire perméable.
Ceci explique que le moulage seul persiste et même ait pu traverser l'empreinte
et migrer plus en profondeur dans certains cas. Elles se présentent comme une
plaque indurée dont le retournement permet de découvrir le moulage fidèle de
la voûte plantaire comme pour l'empreinte qui fit l'objet d'une datation au
carbone 14.
2 Chronologie
relative des empreintes
Aucune
chronologie relative des empreintes ne peut être proposée à partir des différences
morphologiques observées sans une étude sédimentologique détaillée. Les
empreintes en moule négatif, qui pourraient être considérées à priori comme
plus récentes, sont recouvertes par endroit par des niveaux comprenant des
empreintes moulées.
II ETUDE
ANTHROPOLOGIQUE DES EMPREINTES
L'étude
anthropologique de 118 empreintes a été effectuée par mesures directes et par
méthode photogrammétrique. Nous nous sommes heurtés à plusieurs difficultés
: ignorance du sexe et de l'âge des sujets, influence de la plasticité du
support lors de la formation des empreintes puis de la rétraction des sédiments
lors de la dessiccation. Le type de démarche (au pas, course), le port éventuel
d'une charge sont autant de facteurs déterminants qui nous sont inconnus.
1
Description générale des empreintes :
Les
mensurations des empreintes montrent une variabilité qui ne peut s'expliquer
que par la présence d'enfants et d'adultes des deux sexes.
Longueur des empreintes dans la zone D
A
partir de la longueur, il est possible d'estimer que 13 empreintes sont
masculines et 13 autres appartiennent à des femmes ou des adolescents.
L'estimation
de la stature à partir de la longueur des empreintes se heurte à la spécificité
des équations de corrélation pour chaque population et à notre ignorance du
sexe des sujets. Pour les empreintes dont la longueur correspond à un sujet
masculin dans les populations européennes, la stature moyenne est de 170 cm. La
stature féminine serait de 153 cm.
L'appui
plantaire étudié par l'indice de l'isthme et par l'aspect morphologique des
empreintes est de type européen avec une arche plantaire marquée.
Le
premier orteil semble dominer mais cette impression doit être nuancée car
l'examen du bord antérieur de l'empreinte est difficile car modifié par la
dynamique du pas. L'étude photogrammétrique de deux empreintes a permis de préciser
les dimensions et la morphologie du pied et de mettre en évidence un isthme
bien marqué comme dans les populations leucodermes actuelles.
Empreinte analysée par photogramétrie
2 Comparaison avec les
populations actuelles
En
l'absence d'étude des populations maures, nous avons nous-mêmes réalisé la
mensuration des dimensions du pied et de la stature de 36 hommes et 46 femmes
leucodermes de l'Adrar mauritanien. Ces sujets ont des pieds de petites
dimensions, étroits, avec un appui plantaire de type européen. Leur stature
est peu élevée (167 cm pour les hommes, 156 cm pour les femmes). Une corrélation
étroite existe entre la longueur du pied et la stature. La largeur du pied
n'est corrélée qu'avec la largeur du talon. Le premier orteil est le plus
souvent de type dominant.
La
comparaison des empreintes de l'Azrag avec les populations actuelles d'Afrique
de l'Ouest montre que les Peuls et les Maures de l'Adrar sont les plus proches
morphométriquement en particulier pour la longueur et la largeur du pied.
L'indice
crucial des empreintes est plus faible que celui de toutes les populations
actuelles. Cette étroitesse du pied n'est probablement qu'un artefact lié au
fait que les empreintes sont formées sur sol meuble et non sur plan dur comme
pour les mesures anthropologiques classiques.
La
corrélation entre la largeur du pied et celle du talon est identique à celle
des Maures actuels.
La
stature masculine est la plus élevée et la stature féminine la plus basse
mais nous avons déjà expliqué les biais méthodologiques pour ces paramètres
(sujets de plus grande longueur du pied pour les hommes, femmes et adolescents
indiscernables pour les petites longueurs).
L'appui
plantaire est un point essentiel pour discriminer les populations mélanodermes
et leucodermes donc argumenter sur l'origine des populations néolithiques.
L'appui varie considérablement au cours de la marche et les pistes montrent une
grande variation pour le même pied selon l'endroit. La proportion de pieds de
type européen et de pied plat du premier degré est identique à celle observée
actuellement chez les Peuls. Nous n'avons pas pu étudier l'empreinte du pied
chez les Maures.
Le
premier orteil dominant se retrouve chez les Maures actuels de l'Adrar. Ainsi,
la comparaison des empreintes avec une série personnelle de Maures actuels (36
hommes et 49 femmes) et avec les Peuls de Sahel montre une grande similitude
morphométrique.
III
ETUDE DES PISTES DE PAS
Les
pistes de pas sont un moyen unique d'étudier la dynamique de la marche. Ces
empreintes ont figé le déplacement de l'homme préhistorique et nous apportent
des informations qu'aucun reste fossile ne peut fournir. Onze pistes ont été
étudiées, la plus longue comportant 21 empreintes.
A
partir des méthodes classiques d'ichnologie animale, nous avons étudié les
longueurs du pas, du demi-pas, de la piste, la largeur de la voie, et l'angle de
marche.
La
longueur du demi-pas est de 57 cm avec une asymétrie droite-gauche et la
longueur du pas est donc de 114 cm. Chez l'homme actuel, la longueur du pas pour
une marche à vitesse normale sans charge et sur sol sec avoisine 120 cm. Compte
tenu de l'état détrempé du sol à l'Azrag à l'Holocène et aussi du port
possible de charges, l'intervalle de pas est plus réduit.
Deux
pistes sont suffisamment longues pour étudier la largeur de la voie. Celle ci
est de 20 cm soit habituelle pour une piste. Sur l'autre la valeur est très
faible 15 cm. Il s'y ajoute un axe du pied anormal puisque les empreintes sont
dirigées vers l'intérieur de la voie et non l'extérieur comme au cours de la
marche du sujet normal. L'appui plantaire et l'avancée au cours de la marche du
pied droit sont différents du gauche. Il s'agit donc d'une piste de pas d'un
sujet présentant une anomalie des membres inférieurs. C'est, à notre
connaissance, la plus ancienne trace de boiterie décrite.
IV
CONCLUSION
La
sebkha El Azrag et les sites environnants sont des gisements d'un intérêt
scientifique considérable. Les populations néolithiques qui vivaient au bord
de ces lacs ont laissé des centaines d'empreintes de leurs pas, dans un
environnement archéologique d'une richesse exceptionnelle.
Notre
étude de 118 empreintes n'est qu'une ébauche. Ces populations semblent plus
apparentées, pour la morphologie du pied, aux populations leucodermes que mélanodermes.
Ces gisements méritent une étude multidisciplinaire et exhaustive que nous
voulons mener à bien où l'anthropologie aura une place majeure. Une mission
est en cours d’organisation pour 2001.
accueil recherche publications kayak